Proclamation au peuple à l'occasion de la réunion des départements du Cibao et de l'Ozama à la République d'Haïti
Santo-Domingo,le 9 février 1822
JEAN-PIERRE BOYER, Président d'Haïti
Haïtiens!
Le pavillon national flotte sur tous les points de l'île que nous habitons... sur cette terre de liberté il n'existe plus d'esclaves, et nous n'y formons tous qu'une seule famille dont les membres sont liés à jamais entre eux par une volonté simultanée, résultant de la concordance des mêmes intérêts... Ainsi les art. 40 et 41 de notre Constitution reçoivent leur entière exécution.
La réunion des fils d'Haïti, qui a commencé à s'opérer d'une manière définitive depuis trois années et qui se trouve achevée par ma rentrée à Santo-Domingo, n'a coûté de larmes à personne : qui méconnaîtrait, dans cette heureuse révolution, la puissance de Dieu qui règle les destinées des peuples? Après avoir été séparés, que dis-je opposés même les uns aux autres par la politique des ennemis de nos droits, après de longues années de déchirements et de guéries, sa main nous rapproche et verse dans nos cœurs le baume salutaire de l'amitié et de la concorde; rendons-lui des actions de grâces, mes compatriotes, pour la protection signalée qu'il n'a cessé de nous accorder, et devenons dignes de plus en plus de tant de bienfaits par notre fidélité au serment que nous avons fait de vivre toujours unis, libres et indépendants.
Mais pour rendre durable l'œuvre de notre réunion et consolider l'indépendance de notre pays, il faut puiser dans le passé les leçons d'expérience qui vous apprendront à éviter les écueils que vous n'avez franchis que par un courage et des sacrifices héroïques; instruits par vingt-cinq années de vicissitudes, que les vertus privées et publiques du bon citoyen, du patriote zélé, forment le ciment qui doit rendre inaltérable l'édifice que vous avez élevé pour assurer l'existence de votre postérité; que votre amour pour la République, ; que votre respect pour les lois; votre obéissance aux magistrats qui en sont les organes soient constamment la réponse victorieuse que nous pourrons opposer aux sophismes de nos détracteurs et la justification des philanthropes qui ont défendu et qui défendent encore à notre cause.
Possesseurs d'une terre de merveilleuse fécondité, votre industrie agricole, en recevant l'élan qui lui est nécessaire, ouvrira de vastes canaux aux spéculations du commerce étranger, lui assurera des résultats lucratifs, et augmentera par là et vos ressources et les avantages des nations qui ont recherché et entretenu des relations avec nous; c'est à celle qui saura le mieux rendre hommage à nos principes, que nous accorderons, par une inclination toute naturelle, la faculté de fournir plus amplement à nos consommations et d'acheter la plus grande masse des riches productions de notre sol.
Citoyens, vous qui fûtes les premières colonnes avec lesquelles l'immortel PÉTION fonda la République, considérez maintenant avec calme l'espace immense que vous avez parcouru depuis le jour où abjurant une domination étrangère vous prîtes la détermination de n'en jamais plus supporter, jusqu'à celui où vous êtes arrivés! Voyez sans orgueil, le triomphe de vos efforts et de votre persévérance : vous fûtes toujours dociles à la voix de votre chef et prêts à tout sacrifier à la patrie ; continuez à vous montrer dignes de ce que vous avez été.
Et vous, citoyens de la partie de l'Est, vous avez été longtemps malheureux : des lois arbitraires et prohibitives vous ont contraint de vivre dans les privations et dans la stupeur; cependant, vous aviez combattu pour recouvrer vos droits; mais ceux qui étaient chargés de vous diriger vous ont ramenés sous la dépendance de la métropole qui vous avait repoussés de son sein en trafiquant de votre soumission. Enfin vous vous êtes levés spontanément, vous avez voulu être libres et haïtiens comme nous, et vous l'êtes devenus; oubliez donc votre ancienne condition pour ne songer qu'à celle dont vous allez jouir; ouvrez vos cœurs à la joie; votre confiance dans le gouvernement ne sera pas trompée ; il s'occupera du soin de guérir les plaies profondes qu'un système anti-libéral a faites parmi vous; que désormais aucuns nuages n'obscurcissent les beaux jours qui vont luire pour la patrie.
Haïtiens! envain nos ennemis prétendraient alarmer les puissances étrangères sur la réunion de tout notre territoire ! les principes établis par les art. 40 et 41 de notre Constitution qui nous donnent l'océan pour limite, sont aussi généralement connus que ceux consacrés par l'art. 5 du même acte et par lesquels nous nous sommes engagés à ne former jamais aucune entreprise tendant à troubler la paix de nos voisins.
Peuple agriculteur et guerrier, les haïtiens ne s'occuperont que des intérêts de leur patrie ; ils ne se serviront de leurs armes que pour défendre leur indépendance nationale, si on était encore assez injuste pour l'attaquer; toujours généreux, toujours hospitaliers, ils continueront d'agir avec loyauté envers ceux des étrangers qui, habitant parmi eux, respecteront les lois du pays.
Ma destinée était sans doute d'être l'instrument dont la Divinité devait se servir pour faire triompher notre cause sacrée : c'est à sa 'protection que je rapporte les succès qui ont accompagné mon administration, depuis que les rênes de l'État ont été placées dans mes mains: j'ai constamment fait ce qui a dépendu de moi pour m'en rendre digne; toute ma vie sera consacrée de même à remplir religieusement les obligations que m'imposent la gloire et la prospérité d'Haïti. J'ai le droit de compter sur le concours de tous mes concitoyens et j'y compterai pour élever la nation au rang qu'elle doit occuper dans le monde civilisé.
Vive l'indépendance!
Vive la liberté!
Vive la République!
Signé : BOYER.
Par le Président :
Le Secrétaire général signé : B. INGINAC.
Donné au Palais national de Santo-Domingo, le 9 février 1822, an XIX de l'indépendance d'Haïti
Nota : Cette proclamation a été également publiée en espagnol à l'intention des citoyens des départements orientaux de la République.