Un jour de la semaine dernière, je suis passé chez Western Union à l'épicerie du coin pour envoyer quelques dollars à un ami en Haïti. Le caissier, un jeune Afghan, a vite fait d'entamer une conversation avec moi au sujet de mon pays.
Au cours de cette conversation, il m'a expliqué que son pays est pauvre à cause des éternelles guerres. Naturellement, il m'a demandé de lui dire pourquoi Haïti est dans une telle situation. Je lui ai donc répondu que la raison est bien la même, que nous sommes la première nation noire du Nouveau Monde, et que mes ancêtres mirent en déroute les hommes de Napoléon pour vaincre l'esclavage.
J'ai aussi expliqué que ce monde pseudo-civilisé commença à nous isoler dès le premier janvier 1804, jour de notre glorieuse indépendance. Pour comble de malheur, nos ancêtres durent faire appel aux Français et leur confier notre éducation. Il est facile de comprendre comment ces ''éducateurs'' nous ont formés et pourquoi nous avons tendance à mépriser tout ce qui nous ressemble.
Ces "éducateurs" nous ont insidieusement appris qu'ils représentent tout ce qui est beau, louable et civilisé. Deux siècles plus tard, est-il étonnant de voir un écrivain haïtien saboter la célébration du bicentenaire de notre indépendance afin de recevoir la bénédiction de l'Académie Française ?
En plus de nous prédisposer à l'autodestruction, cette guerre d'usure a aussi pris des visages bien plus agressifs comme des menaces et des tentatives d'extorsion. La fameuse dette de l'indépendance que le Président Boyer accepta de payer ne fut ni plus ni moins que de l'extorsion.
Je ne parlerai pas des machinations qui ont toujours existé et qui existent encore. Mais le monde pseudo-civilisé doit avoir suivi à la lettre les directives de Franklin Delano Roosevelt qui préconisait l'attisement des luttes de classe dans mon pays et l'exacerbation du gouffre qui existe entre riches et pauvres.
Cette guerre dont je parle a fait des millions de victimes de toutes sortes. Jean-Jacques Dessalines, l'illustre Père de notre nation est, peut-être, la première de ces victimes. Tous mes compatriotes qui sont morts d'inanition et de maladies parfaitement curables, tous ceux qui veulent, à tout prix, s'éloigner du beau ciel d'Haïti, tous ceux qui ont été trucidés par Duvalier, Cédras, Michel François et le reste, sont des victimes de cette même guerre.
Paradoxalement, ceux qui jouent le rôle de bourreaux : les bourreaux armés comme Cédras, Michel François, Sweet Mickey, Guy Philippe etc. et les mercenaires dodus de la presse écrite et parlée, ne sont, en effet, que de pathétiques victimes des mêmes abus centenaires. Pourtant, il y a de l'espoir car notre histoire n'est pas terminée. Courageux, déterminé et clairvoyant, le peuple haïtien a identifié ses maux et ses ennemis. Il a aussi identifié ses alliés et choisi sa direction.
QUELQUE CHOSE VA CHANGER !
François MONUMA
Montréal, Canada