Discours du président François Denys Légitime à l'occasion du 85ème anniversaire de l'Indépendance d'Haïti le 1er janvier 1889



Discours du président d’Haïti, François Denys Légitime, au Peuple et à l’Armée à l'occasion du 85ème anniversaire de l’Indépendance nationale

La célébration de l’anniversaire de notre glorieuse Indépendance ne devrait jamais avoir lieu qu’avec un sentiment général d’enthousiasme et d’allégresse.

Peut-on se reporter, par la pensée, à ce jour mémorable du premier Janvier 1804, sans sentir vibrer en soi la fibre puissante de l’amour du pays et des nobles attaches de la reconnaissance ?

L’Haïtien, quoi qu’on en dise, n’est pas, de nos jours, devenu si indifférent et si dénaturé, au point de rire et de ne plus tenir compte du souvenir du fait le plus extraordinaire accompli au seuil du dix-neuvième siècle, de cet acte sublime et héroïque, affirmant l’ère nouvelle et véritable de la liberté pour des hommes rendus injustement esclaves, et imposant le principe généreux de la réhabilitation pour toute une race calomniée et trop longtemps assujettie aux brutales et cupides passions d’une portion de l’humanité…

Non, ce sentiment d’un stupide aveuglement et de dégénérescence anticipée ne peut point trouver de place dans le cœur de l’Haïtien.

L’Haïtien d’aujourd’hui, par suite de la triste influence des troubles politiques qui  ont agité le pays, entretenu la discorde et semé partout la division et la haine, est devenu simplement timide, défiant, enclin à l’isolement et à toutes les mauvaises inspirations de l’égoïsme et du découragement. En ajoutant à tout cela, même en temps de calme, l’exercice continuel et brutal de l’intervention militaire, au lieu de l’application rassurante et rationnelle du régime légal de l’autorité civile, on comprendra facilement que, dans un tel milieu, chacun se croit intéressé à déguiser ses vrais sentiments, à étouffer les élans généreux de son cœur, à rapetisser les qualités et les ressources de son esprit, afin de s’épargner le désagrément d’être mal compris ou de se voir appliquer tous les désastreux effets d’une  interprétation intéressée ou outrée de ses opinions ou de ses convictions personnelles.

Avec l’ère actuelle où un gouvernement loyal et progressiste s’annonce si heureusement, l’heure a sonné en faveur de tous pour la reprise de leurs droits et l’exercice obligé de leurs devoirs.

Plus de haines, plus de rancunes ! Immolons sur l’autel de la Patrie tous nos anciens sujets de division, toutes nos haines issues des méandres tortueux de la politique !

Écoutons plutôt la voix solennelle, patriotique  et vraie du Chef de l’État ! 

Après avoir félicité le peuple de se réunir, eu ce jour solennel, pour remercier Dieu de ses faveurs et honorer la mémoire des illustres Fondateurs de notre nationalité, il nous demande d’avoir, enfin, la foi de nos Pères, parce que nous croyons tous, qui que nous soyons, au salut du pays. Plus de prépondérance de classe, ne voyons plus que de la prépondérance des principes et des vertus, l’exemple de respect et d’obéissance dus aux lois.

Consolante et noble déclaration qui, définitivement mise en pratique, rallumera le feu du patriotisme, en faisant revivre, chez nous, l’ardeur, le zèle et le noble dévouement aux intérêts de la Patrie, comme on les constatait dans les premiers temps de notre organisation sociale.

Et pour l’armée, nos braves soldats, si peu protégés et honorés jusqu’ici, le Chef de l’État entend relever le prestige du drapeau, raviver la vieille gloire de chaque légion, en lui rappelant sans cesse une date heureuse de victoire, un nom illustre sorti de ses rangs.

Cette proclamation du Chef, comme chacun l’a remarqué, a un caractère tout nouveau et nous propose d’avoir, pour devise : « Le Progrès par le travail ».

Que la Providence nous redonne l’Unité nationale, sans nouveaux sacrifices pénibles, et que la Nation, enfin désabusée, revenue au vrai sentiment de l’amour patriotique, et s’applaudisse d’avoir des Gouvernants réellement anxieux de travailler au relèvement de la chose publique.

Publié dans l’hebdomadaire Le Plaidoyer national le samedi 5 janvier 1889




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