Conte : Bouqui, le vendeur de cendres


Malice et Bouqui ayant réuni quelques économies s'associèrent et achetèrent pour le Nouvel-An un bateau de pêche qu'ils appelèrent "Piège". Le premier jour qu'il relevèrent la nasse elle contenait une douzaine de poissons. Malice dit à Bouqui :

"Gardez le tout, Noncque, demain ce sera mon tour, nous en aurons quinze!

- Non, non. Mayiche, mon cher , tu n'as pas réfléchi, ch'ai six enfants, ch'ai besoin de beaucoup de poissons, prends tout aujourd'hui, ch'aurai tout demain!"

Le lendemain, il y avait bien une vingtaine de poissons, mais rien que des petits poissons.

"Noncque, c'est pour vous, prenez le tout, demain nous n'aurons que de gros poissons je les garderai tous, je n'ai que faire  de ce menu fretin.

- Mayiche, che souis père de famille, il me faut de gros poissons à ma table, prends ceux-là, tu me donneras les autres".

Le même manège se poursuivit durant tout le mois de janvier. A la Chandeleur, Malice arriva chez Bouqui :

"Nous avons commis une grosse bêtise en achetant Piège, le poisson ne se vend pas en ville, il vaut mieux en faire du charbon, nous en aurons bien cinquante charges, à cinq gourdes la charge, deux cent cinquante gourdes, tu entends deux cent cinquante gourdes"!

Ils brulèrent donc le bateau. comme toujours Bouqui fit tout le travail, Malice passant des ordres et donnant des conseils. Quand la cuisson fut terminée et la cendre séparée du charbon, Malice déclara:

"Noncque, prenez le charbon, moi je garde la cendre.

- Et pourquoi chela Monsieur?

- La cendre se vend plus cher.

- Donnez-la moi alors. Che veux la cendre si elle se vend plus cher.

Ils se rendirent donc en ville, Malice avec une bourrique chargée de charbon et Bouqui portant sur son dos un sac plein de cendres. Arrivés au portail, Malice dit à l'oncle :

"Noncque, il faut nous séparer: le charbon se vend au cœur de la ville et la cendre au bord de mer dans les magasins de parfumerie. Je ne vous dis pas "bonne chance", il parait que cela porte malheur". Malice vendit son charbon à la Gendarmerie et partit à la recherche de son camarade. Du coté de la Banque Nationale, il vit un attroupement.

"Qu'est-ce qu'il y a Messieurs?

- Un pauvre fou qu'on vient d'arrêter pour le conduire à Pont-Beudet. Figurez-vous qu'il parcourait la rue en semant de la cendre et en disant à qui voulait l'entendre : "De la cendre! Voulez-vous de la cendre? De la belle cendre de Piège!".

Source : Comhaire-Sylvain Suzanne, Le roman de Bouqui, Les éditions Leméac Inc., Québec.

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