5 brumaire an XI (27 octobre 1802)
Au commandant du Fort de Joux à D.
Je reçois, Citoyen commandant, votre lettre du 26 vendémiaire relative au prisonnier d'Etat Toussaint-Louverture, confié à votre garde spéciale, et sur lequel le Gouvernement appelle votre plus stricte surveillance.
Le Premier Consul m'a chargé de vous faire connaître que vous répondez de sa personne sur votre tête.
Je n'ai pas besoin d'ajouter à un ordre aussi formel et aussi positif. Toussaint-Louverture n'a droit à d'autres égards qu'à ceux que commande l'humanité. L'hypocrisie est un vice qui lui est aussi familier que l'honneur et la loyauté vous le sont à vous même, Citoyen commandant.
La conduite qu'il a tenue depuis sa détention, est faite pour fixer votre opinion sur ce qu'on doit attendre de lui. Vous vous êtes aperçu vous-même qu'il cherchait à vous tromper, et vous l'avez été effectivement par l'admission près de lui d'un de ses satellites, déguisé en médecin.
Vous ne devez pas vous en tenir à la démarche que vous avez faite, pour vous assurer s'il n'a ni argent ni bijoux. Vous devez faire fouiller partout pour vous en assurer, et examiner s'il n'en aura ni caché ni enterré dans sa prison. retirez-lui sa montre et et si son usage lui est agréable, on peut y suppléer en établissant dans sa chambre une de ces horloges de bois, du plus vil prix, qui servent assez pour indiquer le cours du temps. S'il est malade, l'officier de santé le plus connu de vous, doit seul lui donner des soins, et le voir, mais seulement quand il est nécessaire, et en votre présence, et avec les précautions les plus grandes, pour que ces visites ne sortent sous aucun rapport, du cercle de ce qui est indispensable.
Le seul moyen qu'aurait eu Toussaint de voir son sort amélioré, eut été de déposer toute dissimulation.
Son intérêt personnel, les sentiments religieux dont il devrait être pénétré pour expier tout le mal qu'il a fait, lui imposaient le devoir de la vérité : mais il est bien éloigné de le remplir, et par sa dissimulation continuelle il dégage ceux qui l'approchent de tout intérêt sur son sort.
Vous pouvez lui dire d'être tranquille sur le sort de sa famille, son existence est commise à mes ordres, et rien ne lui manque. Je présume que vous avez éloigné de lui tout ce qui peut avoir quelque rapport avec un uniforme. Toussaint est son nom; c'est la seule dénomination qui doit lui être donnée. Un habillement chaud, gris ou brun, très-large et commode, et un chapeau rond, doivent être son vêtement.
Je m'en réfère au surplus, aux ordres que vous avez reçus sur tous les détails de sa nourriture et de la manière de vous comporter avec lui.
Quand il se vante d'avoir été Général, il ne fait que r'appeler ses crimes, sa conduite hideuse et sa tyrannie sur les Européens. Il ne mérite alors que le plus profond mépris pour son orgueil ridicule.
Je vous salue.
Nota : la lettre est envoyée au Commandant d'armes du Fort de Joux par le Ministre de la Marine et des Colonies.
Sources : Archives des Outre-mer français