Lettre adressée par Alexandre Dumas à ses compatriotes haïtiens pour lancer le projet d’une statue dédiée à son père, le général Dumas. Après avoir fait graver le nom sur l’arc de Triomphe. Dumas, en 1838, se déclarant lui-même de nationalité haïtienne, lança l’idée d’un monument à la mémoire du général qui serait installé à la fois à Paris et à Port-au-Prince. Alexandre Dumas a laissé une œuvre immense : plus de 150 romans, essais ou pièces de théâtre. Il est l’auteur au monde le plus adapté au cinéma.
Mes chers compatriotes,
Souvent, j’ai été sollicité à la fois par des amis et par mon propre cœur de faire élever une statue à mon père ; cette statue, faite par l’un des meilleurs artistes de la capitale, grâce aux relations que j’ai avec tous, et à la fourniture que ferait du bronze le gouvernement, ne coûterait pas plus de 20 à 25 000 francs.
Voici donc ce que j’ai l’honneur de vous proposer, Messieurs :
Une souscription à 1 F serait ouverte parmi les hommes de couleur seulement, quelle que soit la partie du monde qu’ils habitent. A cette souscription ne pourront se joindre, pour les sommes qui leur conviendront, que le roi de France et les princes français, ainsi que le gouvernement d’Haïti, et si, comme il y a tout lieu de le croire, la somme, au lieu de se monter à 25 000 F, se monte à 40 000, on fondrait une seconde statue pour une des places de Port-au-Prince; et alors, j’irais la conduire et l’y ériger moi-même sur un vaisseau que le gouvernement français me donnerait pour l’y emporter.
Je ne sais, Messieurs, si la douleur récente que j’éprouve [Alexandre Dumas vient de perdre sa mère] et qui réveille cette vieille et éternelle douleur de la mort de mon père, ne me rend pas indiscret, et ne grandit pas à mes propres yeux les mérites de celui que Joubert appelait la terreur de la cavalerie autrichienne et Bonaparte l’Horatius Coclès du Tyrol ; mais il me semble en tout cas qu’il serait bon que les Haïtiens apprissent à la vieille Europe, si fière de son antiquité et de sa civilisation, qu’ils n’ont cessé d’être français qu’après avoir fourni leur contingent de gloire à la France.
Alexandre Dumas, 5 août 1838