Récit de l'entrée du président Jean-Pierre Boyer et des Armées haïtiennes à Santo Domingo le 9 février 1822

      

      Le samedi 9 février, à 6 heures du matin, Boyer inspecta les troupes ; elles étaient dans une tenue admirable. Immédiatement après, le général Borgella pénétra dans l’enceinte de Santo-Domingo par la porte del Conde : il marchait avec son état-major en tête des huit régimens de son corps, défilant par pelotons ; puis venait la garde à pied. Le Président d’Haïti, en costume de colonel, était précédé d’un grand état-major et escorté des officiers généraux Pierrot, Toussaint, Prophète Daniel, Riche, Sainte-Fleur, Beauregard, Voltaire et Inginac, secrétaire général : la garde terminait cette colonne.

À la porte del Conde se trouvaient José Nunez de Cacérès et les magistrats de la ville, venus pour y recevoir le chef de la République ; les troupes de cette cité, s’élevant à environ 500 hommes, formaient une haie des deux côtés de la rue del Conde. Le carillon des cloches des nombreuses églises, la salve d’artillerie tirée de tous les forts de la place, le bruit des tambours, le son de la musique, les cris de : Viva el senor Présidente ! poussés par la population accourue sur les lieux : tout contribuait à faire de cette journée, l’une de celles dont Boyer devait se ressouvenir le plus. Successeur heureux du grand citoyen dont la bienfaisante politique avait jeté les bases de toutes les prospérités de la patrie, marchant sur ses traces, imitant sa modération intelligente, il recueillait ainsi, l’un après l’autre, les glorieux fruits de son gouvernement.

En voyant Nunez de Cacérès, Boyer descendit de cheval et lui donna une accolade, en signe de la satisfaction qu’il éprouvait de sa résignation à reconnaître l’autorité de la République, pour ne pas compromettre le sort de ceux de ses concitoyens qui avaient partagé ses premières idées ; car c’était leur tracer un exemple utile à leur bonheur personnel, que de les persuader de la nécessité de se rallier au vœu général. Cet acte, qui décelait les sentimens fraternels et patriotiques du chef qui se trouvait en ce moment à la tête d’une puissante armée, fut d’un heureux effet sur tous les assistans. Ensuite, le Président remonta à cheval et se rendit sur la place de la cathédrale où il inspecta les régimens de sa garde, à l’arsenal et sur d’autres points que le général Borgella avait fait occuper de suite, puis il se porta au palais des anciens gouverneurs pour l’Espagne ; là s’étaient rendus Nunez de Cacérès avec les magistrats de la ville et les citoyens les plus notables.

Le Président leur dit : « J’éprouve un vif plaisir à me trouver au milieu de vous ; mais ce plaisir serait bien plus vif si j’étais assuré, citoyens, que la réunion qui vient de s’opérer vous est aussi agréable qu’elle l’est à tous les autres citoyens de la partie occidentale de la République. » Ces paroles furent accueillies avec un chaleureux enthousiasme. Boyer savait en inspirer à ses auditeurs, par la facilité de sa diction, par sa dignité dans ses fonctions et surtout par la physionomie agréable, prévenante, qui le distinguait dans ses heureux momens ; car alors toute la bonté de son cœur se reflétait sursa figure et dans son regard.

Après avoir pris possession de Santo-Domingo militairement, par la puissance des armes, le Président d’Haïti, reconnaissant la nécessité de sanctionner ce fait par l’investiture de l’autorité civile et politique dans toute la partie de l’Est, appuyée de la consécration religieuse, invita Nunez de Cacérès et les magistrats d’aller avec lui au Cabildo ou Municipalité, afin de constater régulièrement cette cérémonie par un procès-verbal, pour se rendre ensuite à la cathédrale et assister à un Te Deum chanté en actions de grâces.

La vanité et l’orgueil de Nunez de Cacérès attendaient ce moment, il paraît, pour se manifester par une sorte de protestation contre sa déchéance de la haute position qu’il s’était créée dans l’Est, par la révolution éphémère du 1er décembre. Indépendamment des défauts de son caractère qui le portèrent toujours à lutter contre ses supérieurs, — témoin les tracasseries qu’il suscita à Juan Sanches et aux autres gouverneurs, — lui qui n’avait été poussé à l’indépendance, dans ces derniers temps, que pour se venger du gouvernement espagnol, ainsi que nous l’avons dit, il ne put se soumettre franchement à descendre du rang où il s’était placé.

Il adressa donc à Boyer, dans la salle du Cabildo remplie de fonctionnaires, de citoyens et d’officiers de tous grades, un discours qu’il prononça en espagnol, bien qu’il parlât fort bien le français, non-seulement dans la pensée d’embarrasser le Président dans la réponse que celui-ci lui ferait, mais pour être mieux compris de ses anciens complices ou adhérens et de ses autres compatriotes. Il essaya d’abord de se disculper d’avoir adopté le pavillon colombien, en disant que ce n’était pas un signe d’adhésion particulière ni d’incorporation à la Colombie ; mais que c’était en vue d’honorer la mémoire de Colomb qui avait découvert l’Amérique. Ensuite, il prétendit qu’entre les populations des deux anciens territoires d’Haïti, la différence d’origine, de langage, de législation, de mœurs, d’habitudes, était une cause puissante pour s’opposer à leur réunion en un seul et même État, et que l’avenir se chargerait de prouver, par les faits, que cette assertion est fondée ; qu’il avait promis à ses compatriotes de leur procurer l’indépendance, et qu’il espérait qu’ils rendraient justice à ses intentions, si le résultat de son œuvre politique avait tourné autrement qu’il ne le désirait. Il termina enfin son discours, en manifestant l’espoir que le Président d’Haïti les défendrait et les protégerait de son bras puissant, afin de les rendre heureux, etc.

Toutefois, Nunez promit fidélité à la République et à son gouvernement ; ensuite, il fit présenter au Président les clefs de Santo-Domingo sur un plat d’argent, en signe de la soumission de cette ville et du territoire de l’Est, dont elle était la capitale. C’était renouveler ce qui s’était fait à l’égard de Toussaint Louverture.

S’adressant alors à tous ceux qui assistaient à cette cérémonie, Boyer leur exprima le regret de n’avoir pu comprendre toutes les parties du discours prononcé par Nunez, afin d’y répondre de point en point. Mais il déclara qu’en venant dans l’Est, il n’était mu par aucune ambition, et que ce n’était que pour remplir son devoir, aux termes de la constitution ; et il rappela qu’il avait déjà fait sa profession de foi à cet égard, dans sa dépêche du 11 janvier, traduite en espagnol, imprimée et publiée par les soins de Nunez. « Je reçois avec satisfaction, ajouta-t-il, les protestations que vous me faites de la soumission et de la fidélité que vous jurez à la République. Quant aux clefs de la ville qui me sont offertes, je ne les accepte point, parce que je ne suis pas venu ici en conquérant, que ce n’est pas la force des armes qui m’y a amené, mais bien la volonté des habitans qui m’ont librement appelé pour les garantir des droits et des avantages dont ils n’ont jamais joui. En conséquence, je déclare, comme chef de l’État, que je ferai tous mes efforts pour que ceux qui augmentent aujourd’hui la famille haïtienne ne soient jamais dans le cas d’éprouver aucun regret de la démarche qu’ils viennent de faire. »

Ces paroles furent accueillies par les acclamations de tous les citoyens, particulièrement de ceux de Santo-Domingo qui y trouvaient une garantie, franchement et loyalement donnée, que leurs droits seraient respectés par le gonvernement de la République. On se rendit ensuite à la cathédrale, l’archevêque Pedro Valera, vieillard vénérable, entonna lui-même le Te Deum en actions de grâces. Un procès-verbal des deux cérémonies fut dressé par le Cabildo. Le Président d’Haïti fut enfin reconduit à son palais par le même cortège, et là, l’archevêque vint, à la tête de son clergé, lui faire visite et le complimenter sur la prise de possession de la partie de l’Est, qui réunissait tous les Haïtiens sous les mêmes lois.


Nota : Récit de Beaubrun Ardouin dans son livre études sur l'histoire d'Haiti, tome 10.


Traduccion al Español


El sábado 9 de febrero, a las 6 de la mañana, Boyer inspeccionó a las tropas, que vestían un vestido admirable. Inmediatamente después, el general Borgella entró en el recinto de Santo Domingo a través de la Porte del Conde: marchó con su personal a la cabeza de los ocho regimientos de su cuerpo, marchando en pelotones; luego llegó la guardia a pie. El Presidente de Haití, vestido de coronel, fue precedido por un gran estado mayor y escoltado por los generales Pierrot, Toussaint, el Profeta Daniel, Riche, Sainte-Fleur, Beauregard, Voltaire e Inginac, secretario general: la guardia terminó esta columna.


En la Porte del Conde estaban José Núñez de Cáceres y los magistrados de la ciudad, que habían venido a recibir allí al jefe de la República; las tropas de esta ciudad, que ascendían a unos 500 hombres, formaban un seto a ambos lados de la calle del Conde. El repique de las campanas de las muchas iglesias, la descarga de artillería disparada desde todos los fuertes de la plaza, el sonido de los tambores, el sonido de la música, los gritos de: ¡Viva el señor Presidente! empujados por la gente se apresuraron a la escena: todo ayudó a hacer de este día, uno de los que Boyer tuvo que redescubrir más. Feliz sucesor del gran ciudadano cuya política benéfica había sentado las bases de toda la prosperidad de la patria, siguiendo sus pasos, imitando su inteligente moderación, recogió así, uno tras otro, los gloriosos frutos de su gobierno.


Al ver a Núñez de Cacérès, Boyer se bajó del caballo y le dio un abrazo, como señal de la satisfacción que sentía por su renuncia de reconocer la autoridad de la República, para no poner en peligro la suerte de aquellos de sus conciudadanos que habían compartido sus primeras ideas; porque era un ejemplo útil para su felicidad personal, para persuadirlos de la necesidad de unirse al voto general. Este acto, que reveló los sentimientos fraternales y patrióticos del líder que en ese momento estaba a la cabeza de un poderoso ejército, tuvo un efecto feliz en todos los asistentes. Luego el Presidente volvió a montar a caballo y se dirigió a la plaza de la catedral, donde inspeccionó los regimientos de su guardia, el arsenal y otros puntos que el general Borgella había ocupado inmediatamente, luego se dirigió al palacio de los antiguos gobernadores de España; allí Núñez de Cáceres había ido con los magistrados de la ciudad y los ciudadanos más notables.


El Presidente les dijo: "Es un gran placer para mí estar entre ustedes, pero sería mucho más placer si pudiera asegurarles, ciudadanos, que la reunión que acaba de tener lugar es tan agradable para ustedes como lo es para todos los demás ciudadanos de la parte occidental de la República. "Estas palabras fueron recibidas con cálido entusiasmo. Boyer supo inspirar a sus oyentes, por la facilidad de su dicción, por su dignidad en sus deberes y sobre todo por la fisionomía agradable y considerada, que lo distinguía en sus momentos felices ; porque entonces toda la bondad de su corazón se reflejaba en su figura y en su mirada.


Después de haber tomado posesión militar de Santo Domingo, por el poder de las armas, el Presidente de Haití, reconociendo la necesidad de sancionar este hecho con la inauguración de la autoridad civil y política en todo el Oriente, apoyada por la consagración religiosa, invitó a Núñez de Cáceres y a los magistrados a ir con él al Cabildo o Municipio, para anotar regularmente esta ceremonia en un registro, para luego ir a la catedral y asistir a un Te Deum cantado en acción de gracias.


La vanidad y el orgullo de Núñez de Cáceres esperaban este momento, al parecer, para manifestarse en una especie de protesta contra su pérdida de la alta posición que se había creado en Oriente, por la efímera revolución del 1 de diciembre. A pesar de los defectos de su carácter que siempre le llevaron a luchar contra sus superiores, - sean testigos de las molestias que despertó en Juan Sanches y en los demás gobernadores, - el que había sido empujado a la independencia, en los últimos tiempos, solo para vengarse del gobierno español, como hemos dicho, no podía someterse francamente a descender del rango donde se había colocado.


Por lo tanto, dirigió un discurso a Boyer, en la sala del Cabildo llena de funcionarios, ciudadanos y oficiales de todos los rangos, que pronunció en español, aunque hablaba muy bien francés, no solo para avergonzar al Presidente en la respuesta que le daría, sino para ser mejor comprendido por sus antiguos cómplices o adherentes y sus otros compatriotas. Al principio trató de exonerarse por haber adoptado la bandera colombiana, diciendo que no era una señal de membresía especial o incorporación a Colombia ; pero que era para honrar la memoria de Colón que había descubierto América. Luego, afirmó que entre las poblaciones de los dos antiguos territorios de Haití, la diferencia de origen, idioma, legislación, moral y hábitos, era una causa poderosa para oponerse a su reunión en un solo y mismo estado, y que el futuro sería responsable de probar, con hechos, que esta afirmación se basa en el hecho de que los dos antiguos territorios ; que había prometido a sus compatriotas que procurarían la independencia para ellos, y que esperaba que hicieran justicia a sus intenciones, si el resultado de su trabajo político había resultado diferente de lo que deseaba. Finalmente terminó su discurso, expresando la esperanza de que el Presidente de Haití defenderlos y protegerlos con su poderoso brazo, a fin de hacerlos felices, etc.


Sin embargo, Núñez prometió lealtad a la República y a su gobierno; luego hizo entregar al Presidente las llaves de Santo Domingo en un plato de plata, como señal de la sumisión de esta ciudad y del territorio oriental, del que era la capital. Esto era exactamente lo que se le había hecho a Toussaint Louverture.


Hablando a todos los que asistieron a la ceremonia, Boyer expresó su pesar por no poder entender todas las partes del discurso de Núñez, para poder responderlas punto por punto. Pero declaró que cuando llegó a Oriente, no se movía por ninguna ambición, y que era solo para cumplir con su deber, según la Constitución; y recordó que ya había hecho su profesión de fe al respecto, en su despacho del 11 de enero, traducido al español, impreso y publicado por Núñez. "Recibo con satisfacción-añadió-las protestas que me hacen por la sumisión y lealtad que juran a la República. En cuanto a las llaves de la ciudad que me ofrecen, no las acepto, porque no vine aquí como conquistador, porque no fue la fuerza de las armas lo que me llevó allí, sino la voluntad de los habitantes que me llamaron libremente para garantizarles derechos y beneficios que nunca han disfrutado. En consecuencia, declaro, como Jefe de Estado, que haré todos mis esfuerzos para que los que hoy están aumentando la familia haitiana nunca lo hagan, en caso de que lamenten el paso que acaban de dar. »


Estas palabras fueron saludadas por los vítores de todos los ciudadanos, especialmente los de Santo Domingo, que encontraron en ellas una garantía, dada franca y lealmente, de que sus derechos serían respetados por el gobierno de la República. Luego fuimos a la catedral, el arzobispo Pedro Valera, un anciano venerable, cantó el Te Deum en acción de gracias. Un registro de las dos ceremonias fue preparado por el Cabildo. El Presidente de Haití finalmente fue llevado de vuelta a su palacio por la misma caravana, y allí, el arzobispo vino, a la cabeza de su clero, a visitarlo y felicitarlo por tomar posesión de la parte oriental, que unió a todos los haitianos bajo las mismas leyes.


Nota: El relato de Beaubrun Ardouin en su libro études sur l'histoire d'Haiti, volumen 10.

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