Au quartier-général de Saint-Marc, le 20 pluviôse an X (9 février), Le gouverneur général de Saint-Domingue,
Au citoyen Dommage, général de brigade, commandant l’arrondissement de Jérémie.
J’envoie auprès de vous, mon cher général, mon aide de camp Chancy. Il est porteur de la présente, et il vous dira de ma part ce que je lui ai chargé.
Les blancs de France et de la colonie, réunis ensemble, veulent ôter la liberté. Il est arrivé beaucoup de vaisseaux et de troupes qui se sont emparés du Cap, du Port-Républicain et du Fort-Liberté.
Le Cap, après une vigoureuse résistance, a succombé ; mais les ennemis n’ont trouvé qu’une ville et une plaine de cendres : les forts ont sauté, et tout a été incendié.
La ville du Port-Républicain leur a été livrée par le traître général de brigade Agé, ainsi que le fort Bizotons, qui s’est rendu sans coup férir, par la lâcheté et la trahison du chef de bataillon Bardet, ancien officier du Sud. Le général de division Dessalines maintient dans ce moment un cordon à la Croix-des-Bouquets, et toutes nos autres places sont sur la défensive.
Comme la place de Jérémie est très forte par les avantages de la nature, vous vous y maintiendrez et la défendrez avec le courage que je vous connais. Méfiez-vous des blancs ; ils vous trahiront, s’ils le peuvent ; leur désir bien manifesté est le retour à l’esclavage.
En conséquence, je vous donne carte blanche ; tout ce que vous ferez sera bien fait. Levez en masse les cultivateurs, et pénétrez les bien de cette vérité : — qu’il faut se méfier des gens adroits qui pourraient avoir reçu secrètement des proclamations de ces blancs de France, et qui les feraient circuler sourdement pour séduire les amis de la liberté.
Je donne l’ordre au général de brigade Laplume de brûler la ville des Cayes, les autres villes et toutes les plaines, dans le cas qu’il ne pourrait résister à la force de l’ennemi ; et alors toutes les troupes des différentes garnisons, et tous les cultivateurs iraient vous grossir à Jérémie. Vous vous entendrez parfaitement avec le général Laplume pour bien faire les choses ; vous emploierez à planter des vivres en grande quantité toutes les femmes cultivatrices.
Tâchez, autant qu’il sera en votre pouvoir, de m’instruire de votre position. Je compte entièrement sur vous, et vous laisse absolument le maître de tout faire pour nous soustraire au joug le plus affreux.
Bonne santé je vous souhaite. Salut et amitié.
Toussaint Louverture.
Nota : Cette lettre a été interceptée par les Français, sans parvenir à son destinataire, le général de brigade Dommage. (Etudes sur l'histoire Haïti, Beaubrun Ardouin, tome 5)