Vladimir Poutine - Président de la Fédération de Russie |
Le 24 février dernier, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a décidé d’envahir l’Ukraine pour, dit-il, “démilitariser et dénazifier l’Ukraine”. Disons-le tout de suite, cet acte est contraire au droit international public en ce sens qu’il foule aux pieds un pilier fondamental de la cohabitation entre les Nations qui est l’intégrité territoriale de tout État indépendant. En outre, si je me fie à ce qui se dit à Moscou, cette action militaire russe mettra à mal la souveraineté de l’État ukrainien. Au vu de ces éléments, l’opération militaire de la Fédération de Russie est illégale et doit être condamnée fermement. Je la condamne, en effet. Cette condamnation est quasi-générale en Occident et dans les pays alliés des Occidentaux. Ce qui est fort bien. Néanmoins, ce qui me frappe dès le déclenchement de cette guerre, ce ne sont pas les condamnations ou les approbations, c'est l’hypocrisie manifeste de l’Occident qui est tombé très rapidement dans une amnésie générale comme si c’est la première fois que le monde connait une guerre, comme si avant le début de ce conflit le monde était un havre de paix et surtout que les pays Occidentaux n’étaient pas les plus grands marchands de la mort de la planète. C’est ainsi que très vite ont été oubliées les guerres illégales et meurtrières de l’Occident partout dans le monde après la fin de la guerre froide, pour ne pas mentionner celles d’avant. On ne peut qu’être étonné devant un tel oubli !
Après la désintégration de l’Union soviétique au début des années 90, le camp occidental qui a gagné la Guerre froide est devenu, avec les États-Unis d’Amérique en tête, le gendarme du monde. Beaucoup pensaient que c’était la fin du monde, en ce sens que les États-Unis, devenus l'unique super-puissance du monde, ne seraient jamais plus concurrencés, menacés et que la démocratie jaillirait partout sur la planète telles les vagues de l’océan qui frappent nos rivages. Ce gendarme ne se prive pas, depuis, de son superpouvoir pour intervenir militairement çà et là pour consolider ses intérêts même si officiellement, c'est toujours pour établir la démocratie, la prospérité et la paix. De nombreuses guerres ont lieu sous ce faux prétexte, parfois accompagné d’autres, comme le fait de désarmer l’Irak qui détenait selon les Américains des armes de destruction massive. Justement, l’Irak, ce pays arabe et musulman, a été détruit par les États-Unis et leurs alliés, avec l’exception notable de la France et de l’Allemagne. Il n’y a pas de doute que Saddam Hussein était un dictateur. Mais était-il nécessaire d’aller déverser des milliers de bombes sur son peuple, sur le patrimoine irakien ? Était-il nécessaire d’aller renverser un gouvernement et un président, fussent-ils, dictatoriaux et tyranniques ? N’est-ce pas aux peuples et à eux seuls de terrasser leurs tyrans ? En tout cas, près de 20 ans après, on a tous vu la beauté et la vigueur de la charmante démocratie irakienne. On a tous vu la prospérité promise par Georges Walker Bush aux Irakiens. On a tous vu la paix et la sécurité qu’ont apportées les canonnades, les bombardements, le massacre et la torture des Irakiens. C’est évidemment une complète réussite ! Trêve de plaisanterie ! L’Irak est aujourd’hui un enfer pour ses habitants, bien qu’il n’ait pas été un paradis pour son peuple sous Saddam Hussein, mais il était au moins un purgatoire.
L’Irak a été détruit. Mais, il y a un pays dont on parle très peu. Et c’est normal, car il n’existe plus, il s’agit de la Yougoslavie ou plutôt de l’ex-Yougoslavie. Ce pays a été détruit complètement jusqu’à se désintégrer comme l’Union soviétique. C’était un pays européen qui était certes aux prises à des tensions ethniques entre les différentes composantes de la Fédération à la fin des années 90. L’OTAN a été la pierre qui a achevé l’implosion de la République yougoslave, avec l’invasion du territoire, des bombardements massifs qui ont fait des milliers de morts en 1999. Évidemment, on ne peut pas cautionner le nettoyage et tous les actes criminels des autorités serbes contre les minorités ethniques et notamment contre les Albanais, majoritaires dans la province du Kosovo. La communauté internationale devait réagir pour forcer le président Milosevic à négocier et garantir la sécurité des Kosovars. Ce n’est pas cette voie qui a été choisie, mais plutôt celle de la guerre. Cela a été fait malgré les protestations de certains pays comme la Russie qui condamnait l’illégalité d’une telle démarche otanienne sans l’aval du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il s’ensuit ensuite la partition de la Serbie, car l’Occident a déclaré indépendant un territoire qui est un berceau historique du peuple serbe. Cette indépendance est reconnue par les principaux pays occidentaux.
Plus proche de nous, en 2011, la Jamahiriya libyenne du colonel Kadhafi a été victime de cette politique de bombardement de l’OTAN et de l’Occident. C’était en plein Printemps arabe. Sous le prétexte de protéger la population de Benghazi qui se soulevait contre le guide libyen, l’OTAN, avec la participation active de la France de Nicolas Sarkozy, de la Grande-Bretagne de David Cameron et des États-Unis du Prix Nobel de la Paix, Barack Hussein Obama, a détruit la Libye. Il y avait certes un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies, mais ce mandat permettait seulement d’établir une zone d’exclusion aérienne pour protéger la population contre d’éventuelles représailles des forces de Kadhafi. L’OTAN ne s’est pas contentée de jouer son rôle. Elle est allée plus loin, en armant les rebelles dont beaucoup étaient des terroristes locaux ou affiliés à Al-Qaida et en pilonnant les troupes, les infrastructures et les équipements militaires du gouvernement libyen, donnant un avantage décisif aux rebelles. Le résultat de ces bombardements est que le colonel Mouammar Kadhafi a été tué, l’État libyen n’existe plus, le pays devient un marché aux esclaves à ciel ouvert, la pauvreté, la misère et le terrorisme règnent en maitre. Aujourd’hui, le peuple malien et les Africains du Sahel, en général, subissent de plein fouet les conséquences de cette guerre occidentale contre la Libye, avec l’essaimage du terrorisme qui mine fortement la capacité des États à se développer. Au lieu de consacrer de l’argent à l’éducation, l’emploi, l’agriculture, la santé, la justice et la protection sociale, ces pays voient une bonne partie de leurs ressources être consacrées à l’Armée et à la lutte contre le terrorisme. Ce qui conduit des dizaines de milliers de jeunes de cette région à l’émigration en Europe. Je pourrais citer tant d’autres pays qui ont été victimes de l’agression des États-Unis pendant les trente dernières années.
Ce qui est intéressant de voir c’est le traitement de ces agressions, ces violations du droit international. Les médias occidentaux accompagnent la propagande des États agresseurs. Après tout, il s’agit de guerres pour répandre la démocratie et les droits humains ! Parfois, ils ne parlent pas de guerre, ils parlent d’”intervention” : intervention américaine en Irak, intervention de la France en Libye, etc. Quel contraste donc avec la guerre de la Russie contre l’Ukraine ! Les Russes sont présentés comme les méchants et les Ukrainiens, les gentils. Le président russe est présenté comme l’incarnation du diable, du tyran allemand Adolf Hitler, ou plutôt comme un fou, un homme assoiffé de sang, un Caligula ressuscité. La réalité n’est malheureusement jamais toute noire ni jamais toute blanche. Quand on voit les sanctions qui pleuvent comme des cordes sur la Russie, on se demande, mais où étaient ces pays en 2003 ? Où étaient-ils quand les Irakiens se faisaient massacrer, quand les Panaméens étaient canardés, les Haïtiens envahis, les Libyens détruits, les Serbes martyrisés ? Les sanctions n’existaient-elles pas à ce moment-là ? N’étaient-elles pas encore nées ? Surgissent-elles ex nihilo le 24 février 2022 ? Le droit international public n’existe-t-il pas pour les Palestiniens ? Les Yéménites ne sont-ils pas des êtres humains ? Est-ce normal qu’ils soient occis par des armes françaises, américaines, canadiennes ou allemandes ? Existent-elles deux humanités ? Des dizaines de questions pourraient être posées.
En conclusion, l’invasion russe n’a aucune légalité au regard du droit international même si les réclamations de la partie russe sont entendables. Il s’agit de l’usage de la force au lieu de primer la négociation. Mais, on ne peut pas ne pas se pencher sur cette hypocrisie permanente des États-Unis et de leurs alliés qui s’assoient sur la démocratie, les droits de l’homme, le droit international quand cela les arrange et qui les défendent et réagissent violemment, tout à coup, quand un adversaire fait de même. Ce comportement fait que l’Occident n’est pas en mesure de faire la leçon à qui que ce soit en ce qui a trait au respect du droit international. La Russie ne fait que copier les stratégies occidentales. Peut-être que ce sera une bonne élève, suivons-la de près.
Joseph Desrivières François