« Après ces deux lettres, quoique indisposé, je me rendis aux sollicitations de mes fils et d’autres personnes, et partis pendant la nuit même pour voir le général Brunet, accompagné de deux officiers seulement. À 8 heures du soir, j’arrivai chez ce général. Quand il m’eut introduit dans sa chambre, je lui dis que j’avais reçu sa lettre, ainsi que celle du général en chef qui m’invitait à me concerter avec lui, et que je venais pour cet objet ; que je n’avais pas pu emmener mon épouse, suivant ses désirs, parce qu’elle ne sortait jamais, ne voyant aucune société et ne s’occupant uniquement que de ses affaires domestiques ; que si, lorsqu’il serait en tournée, il voulait bien lui faire l’honneur de la visiter, elle le recevrait avec plaisir.
Je lui observai qu’étant malade, je ne pouvais pas rester longtemps avec lui, que je le priais en conséquence de terminer le plus tôt possible nos affaires, afin de pouvoir m’en retourner. Je lui communiquai la lettre du général Leclerc.
Après en avoir pris lecture, il me dit qu’il n’avait encore reçu aucun ordre de se concerter avec moi sur l’objet de cette lettre ; il me fit ensuite des excuses sur ce qu’il était obligé de sortir un instant ; il sortit en effet, après avoir appelé un officier pour me tenir compagnie. À peine était-il sorti, qu’un aide de camp du général Leclerc entra accompagné d’un très-grand nombre de grenadiers, qui m’environnèrent, s’emparèrent de moi, me garrottèrent comme un criminel, et me conduisirent abord de la frégate la Créole.
Je réclamai la parole du général Brunet et les promesses qu’il m’avait faites, mais inutilement ; je ne le revis plus. Il s’était probablement caché pour se soustraire aux reproches bien mérités que je pouvais lui faire. »
Source : Extraits des mémoires du Général Toussaint Louverture
Nota : Retrouvez en PDF les mémoires de Toussaint Louverture, général de division et gouverneur général de Saint-Domingue (Haiti)