Acte par lequel Jean-Jacques Dessalines accepte d'endosser la dignité d'Empereur d'Haïti



Le gouverneur général,

Aux généraux de l’armée et aux autorités civiles et militaires, organes du peuple.

Citoyens,

Si quelque considération justifie à mes yeux le titre auguste que votre confiance me décerne, ce n’est que mon zèle, sans doute, à veiller au salut de l’Empire, et ma volonté à consolider notre entreprise : entreprise qui donnera de nous, aux nations les moins amies de la liberté, non l’opinion d’un ramas d’esclaves, mais celle d’hommes qui prédilectent leur indépendance au préjudice de cette considération que les puissances n’accordent jamais aux peuples qui, comme nous, sont les artisans de leur propre liberté, qui n’ont pas eu besoin de mendier des services étrangers pour briser l’idole à laquelle nous sacrifions.

Cette idole, comme Saturne, dévorait ses enfans, et nous l’avons foulée aux pieds. Mais n’effaçons pas ces souvenirs ; rappelons ce que la récence de nos infortunes a imprimé dans nos âmes ; ils seront des préservatifs contre les surprises de nos ennemis, et nous prémuniront contre toute idée d’indulgence à leur égard. Si les passions sobres forment les hommes communs, les semi-mesures arrêtent la marche rapide des révolutions.

Puis donc que vous avez jugé qu’il était de l’intérêt de l’Etat que j’occupasse le rang auquel vous m’avez élevé, en m’imposant ce nouveau fardeau, je ne contracte aucune nouvelle obligation envers mon pays ; dès longtemps je lui ai fait tous les sacrifices. Mais je sens qu’un devoir plus grand, plus saint, me lie ; je sens, dis-je, que je dois conduire rapidement cette entreprise à son but, et, par des lois sages, mais indulgentes pour nos mœurs, faire que chaque citoyen marche dans sa liberté sans nuire aux droits des autres, et sans blesser l’autorité qui veille au bonheur de tous.

En acceptant enfin ce fardeau aussi onéreux qu’honorable, c’est me charger de la somme du bien ou du mal qui résultera de mon administration. Mais n’oubliez pas que c’est dans les temps les plus orageux que vous me confiez le gouvernement du vaisseau de l’Etat.

Je suis soldat, la guerre fut toujours mon partage, et tant que l’acharnement, la barbarie et l’avarice de nos ennemis les porteront sur nos rivages, je justifierai votre choix ; et combattant à votre tête, je prouverai que le titre de votre général sera toujours honorable pour moi.

Le rang suprême auquel vous m’élevez m’apprend que je suis devenu le père de mes concitoyens dont j’étais le défenseur ; mais que le père d’une famille de guerriers ne laisse jamais reposer son épée, s’il veut transmettre sa bienveillance à ses descendans et les apprivoiser avec les combats.

C’est à vous, généraux et militaires, qui monterez après moi au rang suprême, que je m’adresse. Heureux de pouvoir transmettre mon autorité à ceux qui ont versé leur sang pour la patrie, je renonce, oui, je renonce formellement à l’usage injuste de faire passer ma puissance à ma famille.

Je n’aurai jamais égard à l’ancienneté, quand les qualités requises pour bien gouverner ne se trouveront pas réunies dans le sujet. Souvent la tête qui recèle le feu bouillant de la jeunesse contribue plus efficacement au bonheur de son pays, que la tête froide et expérimentée du vieillard qui temporise dans les momens où la témérité seule est de saison.

C’est à ces conditions que je suis voire Empereur, et malheur à celui qui portera sur les degrés d’un trône élevé par la reconnaissance de son peuple, d’autres sentimens que ceux d’un père de famille !

Au quartier-général de Dessalines, le 15 février 1804*.

Signé : Dessalines.
Par le gouverneur général,
L’adjudant-général, signé : Boisrond-Tonnerre.



* Nota : Selon l'historien Beaubrun Ardouin, ce document est volontairement antidaté par Boisrond Tonnerre, secrétaire de l'Empereur. Il n'a pas été rédigé le 15 février 1804 comme mentionné, mais bien après.

Source : ARDOUIN, Beaubrun, 1853. Etudes sur l’histoire d’Haïti. In : . Paris : Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs. pp. 78‑106.

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