Monsieur le Président,
J'ai l'honneur de remettre entre vos mains les Lettres par lesquelles
le Gouvernement Haïtien met fin à la mission de mon prédécesseur M.
Jacques C. Antoine et Celles qui m'accréditent auprès de Votre Excellence comme Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire d'Haïti.
C'est pour moi un motif de grande fierté d'être appelé une nouvelle
fois à travailler au succès d'une œuvre à laquelle je me suis dévoué de
tout mon cœur au cours de ma première mission diplomatique à Washington : celle de rendre de plus en plus cordiales et fructueuses les
relations de mon pays avec les États-Unis et celle aussi d'assurer une
complète et sincère collaboration de nos vingt-et-une Républiques
d'Amérique dans tous les domaines de la vie internationale.
Les événements qui ont eu lieu en Haïti au début de cette année
montrent que le peuple haïtien est resté fidèle aux principes démocratiques pour lesquels ses ancêtres ont versé leur sang dans le passé. Ce qu'il veut aujourd'hui, c'est établir la paix à l'intérieur de son
pays sur la base solide de la prospérité nationale et de la justice sociale. Dans la nouvelle Constitution qu'il va se donner afin de répondre à ses propres aspirations et aux prescriptions de l'Acte de Chapultepec et de la Charte de San-Francisco, il entend consacrer, plus
fortement que jamais, les droits de l'Homme à la vie, à la liberté, à
l'égalité des moyens d'éducation et de travail, sans distinction de sexe,
de race, de langue ou de religion.
Tout en étant fermement attachés à leur autonomie politique et à
leur indépendance administrative et financière, les Haïtiens comprennent bien que la prospérité de leur nation est étroitement liée à celle de
ses voisines. Tous nos pays font en effet partie d'un vaste système
d'interdépendance universelle, et c'est par des mesures collectives
qu'ils peuvent améliorer la situation économique et sociale de leurs
populations respectives. Cela est particulièrement vrai pour les États
de cet hémisphère qui, solidairement unis par des intérêts politiques,
intellectuels, économiques et militaires, ont, les uns envers les autres,
des devoirs d'assistance mutuelle et des obligations de défense commune.
Les progrès réalisés durant ces derniers temps au sein de l'Union
Panaméricaine, grâce à la fraternelle politique du « bon voisin », font
désormais de cette Institution Régionale un boulevard pour la paix et
la prospérité en Amérique et, par conséquent, pour la paix et la prospérité du monde entier. Une Amérique, solidaire dans la paix comme
dans la guerre, unie dans l'amitié et dans[11] la justice, puissante par
ses valeurs spirituelles et par ses richesses matérielles, restera un admirable exemple de coopération et d'harmonie. Elle s'imposera
comme modèle à l'Organisation des Nations Unies, dont elle constitue
une fraction importante et qui, sur un plan plus large, travaille au bienêtre des peuples et à l'établissement d'une justice égale pour « tous les
hommes de tous les pays », suivant la généreuse expression de la
Charte de l'Atlantique devenue le bréviaire de la démocratie.
La proclamation de son indépendance le 1ᵉʳ janvier 1804 a fait
d'Haïti le deuxième État indépendant de cet hémisphère, venant immédiatement après les États-Unis de l'Amérique du Nord. L'aide fraternelle, prêtée par son président Alexandre Pétion à Simon Bolivar en
1816 pour l'émancipation des Colonies Espagnoles et l'abolition de l'esclavage en Amérique Hispanique, fait d'Haïti l'un des pionniers du
Panaméricanisme. Haïti a toujours donné sa plus loyale contribution à
la cause de la solidarité interaméricaine. C'est pourquoi elle croit avoir
acquis l'estime de toutes ses sœurs d'Amérique. Et c'est pourquoi elle
compte particulièrement sur la bienveillance personnelle de Votre Excellence et sur l'assistance amicale de votre Gouvernement pour l'aider
à se délivrer des entraves qui gênent son essor politique, économique
et financier et pour lui permettre de remplir, en toute liberté et sincérité, au sein de l'Union Panaméricaine, le rôle auquel lui donnent droit
sa glorieuse histoire et ses aspirations démocratiques.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de joindre mes vœux à ceux
du Gouvernement et du Peuple d'Haïti pour le bonheur personnel
de Votre Excellence et la prospérité de la grande Nation Américaine.
Source : Bellegarde, D. (1948). Dessalines a parlé. Société d’Éditions et de Librairie.