Procès-verbal de la prestation de serment du président Jean-Pierre Boyer en 1818

Procès-verbal de la prestation de serment du président Jean-Pierre Boyer en 1818


Port-au-Prince, le 1er avril 1818.

Ce jourd'hui, premier avril mil huit cent dix-huit, an quinze de l'indépendance d'Haïti, à midi précis;

Le Sénat, réuni dans le lieu ordinaire de ses séances, en majorité absolue, a procédé, ainsi qu'il suit, à la cérémonie de la prestation de serment du nouveau Président d'Haïti, élu à cet office, attendu le décès du vertueux ALEXANDRE PÉTION, qui en avait été investi.

L'ordre des programmes usités dans ces solennités a été observé envers toutes les autorités et tous les citoyens assistant à cette cérémonie importante.

Le Président de la République, élu par le décret du 30 mars expiré, ayant été annoncé, fut accueilli avec les distinctions dues à son rang, et placé dans la salle sur le gradin préparé à cet effet, au milieu des grands dignitaires qui composaient le Conseil exécutif provisoire.

Le Président du Sénat, prenant la parole, s'est adressé au Chef du Pouvoir exécutif, par le discours suivant :

« Citoyen Général,

Le Sénat de la République partage avec toute la nation la perte aussi inattendue que cruelle qu'elle vient d'éprouver : le deuil et les larmes l'environnent; il serait découragé s'il n'était pénétré de toutes les obligations qu'il a contractées en acceptant les grandes fonctions qu'il remplit. Heureux si le temps désigné par la Constitution se fût écoulé sans faire l'usage du pouvoir qu'elle lui donne aujourd'hui! C'est dans les circonstances difficiles, dans les chances extraordinaires, que le peuple a besoin d'être représenté et garanti; cette idée et le salut do l'État nous forcent de suspendre notre douleur, et nous commandent ce que nos devoirs exigent. Il faut donner un chef à la République, qui réunisse toutes les qualités qui peuvent la conserver, la diriger, et maintenir l'ouvrage si i heureusement commencé par celui que la mort vient de nous enlever.

Nous avons profondément réfléchi, consulté l'opinion publique, pour la concilier avec nos propres sentiments. Votre conduite constante, citoyen général, les preuves que vous n'avez cessé de donner, dans tous les temps, i de votre zèle et de votre dévouement à la patrie, l'estime et la confiance i que reposait en vous l'illustre chef que nous perdons, ont dirigé notre choix; et nous avons cru ne pouvoir mieux confier la direction des affaires i publiques, qu'en vos mains.

Nous ne serons point trompés dans notre attente : les principes d'Alexandre PÉTION sont les vôtres. Vous vous êtes, pour ainsi dire, nourri dans le secret de sa pensée. De tout le bien qu'il répandait sur le peuple, vous savez, citoyen général, qu'il en faisait sa plus constante sollicitude, puisque c'est vous qui, le plus souvent, étiez chargé de l'exécution de ses ordres.

Nous aurions mal interprété ses sentiments, nous aurions été injustes envers nos concitoyens, envers ceux qui, comme vous, ont rendu des services signalés à l'État, si nous avions hésité à vous nommer et à vous revêtir de la première magistrature de la République.

Nous aurions méconnu tout ce que vous venez de faire dans ce moment de vacance, par l'ordre admirable qui règne autour.de nous, si nous n'avions : reconnu vos services.

La tâche que nous vous imposons est aussi délicate qu'elle est élevée ; elle n'est pas sans épines, mais le chemin en est tracé par votre auguste prédécesseur; il ne s'est jamais laissé vaincre par les difficultés, sa patience et sa persévérance ont tout surmonté. 

 Il s'agit de faire le bien, de continuer ce qu'il a commencé, de rendre le peuple heureux, de défendre la République, de maintenir la gloire de nos armes, de faire fleurir toutes nos institutions, de faire respecter et exécuter les lois.

C'est de leur exacte observation que vous retirerez l'avantage le plus précieux de vos travaux, et que le Gouvernement recevra toute sa force.

Vous détaillez plus longuement tout ce que la République attend de vous, devient inutile, puisque nous avons la preuve que vous en êtes pénétré. Vous ne négligerez rien de ce qui peut promouvoir la félicité publique ; vous marcherez sur les traces de votre illustre prédécesseur ; vous imiterez ses vertus, sa douceur, sa bienfaisance; quand vous aurez besoin de force et de conseil, à l'idée de son nom, et de la tendre amitié qu'il vous portait, tout sera aplani, et la République n'aura pas renoncé à couler d'heureux jours.

Fortifié par ces divers sentiments, vous ajouterez sans doute, citoyen général, celui qui doit entretenir l'harmonie, si nécessaire au bien public, et que le peuple aime à voir régner entre les pouvoirs qui constituent le Gouvernement libre et paternel de la République. Vous allez y mettre le sceau en prononçant le serment que la Constitution prescrit. »

Le discours terminé et le silence ayant régné, par l'intérêt que prenait l'auditoire à cette fête auguste, le Président de la République, pour témoigner les nobles sentiments qui n'ont jamais cessé de l'animer, s'est exprimé dans ces termes :

« Citoyens Sénateurs, 

Je suis pénétré d'une profonde reconnaissance pour les sentiments que vous venez de m'exprimer.

Mon âme est également déchirée par le souvenir de la perte à jamais déplorable que nous venons défaire. 

Dans cette circonstance de deuil, je sens néanmoins la nécessité de faire abnégation de moi, pour ne songer qu'à la patrie.

L'élévation dont votre choix m'honore m'impose des obligations qui m'effrayeraient, eu égard à mes faibles moyens, si je n'avais l'espoir d'être éclairé de vos lumières, secondé par les généraux, mes camarades d'armes, et fortifié de la confiance de mes concitoyens. La République peut compter sur mon zèle, citoyens Sénateurs. Tous les actes émanés de notre auguste bienfaiteur seront religieusement respectés. Je marcherai sur ses traces. Je donnerai surtout l'exemple de l'économie. Toutes les parties de l'administration publique seront surveillées. Les services de l'armée seront appréciés. Tous mes efforts, enfin, auront pour but le salut de l'État. 

Je prends l'engagement sacré devant Dieu; je jure à la nation, devant il vous, citoyens Sénateurs, sur les mânes de feu mon auguste prédécesseur, Alexandre PÉTION, de remplir fidèlement l'office de Président d'Haïti, de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution, de respecter et de faire il respecter les droits et l'Indépendance du peuple Haïtien. Je le jure. » 

Dès qu'il eut proféré ce serment, une acclamation spontanée s'est fait entendre de toutes les parties de la salle, où les cris de : Vive la République, vive l'Indépendance, vive le Président d'Haïti ont complété cette scène intéressante.

Sur l'invitation du membre qui préside le Sénat, le premier Magistrat de la République, précédé des maîtres de cérémonies, fut se placer à sa droite, où étant, la musique militaire a exécuté les morceaux les plus expressifs, au bruit de l'artillerie, qui, par une salve, annonçait dans le lointain ce grand événement. 

Le cortège ayant été réglé, il s'est dirigé à l'église paroissiale de cette ville où le Te Deum fut chanté avec la pompe qui d'ordinaire accompagne ces jours d'allégresse. 

L'acte religieux accompli, le cortège s'est remis en marche et a conduit le Président d'Haïti à son Palais; et le Sénat, rendu à la Maison nationale, a terminé la séance.

Fait et clos le présent procès-verbal les jour, mois et an que dessus.

        Le Président du Sénat, signé : PANAYOTY.

                       LAMOTHE, Secrétaire.


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